A Cappella

Que révèle l’écart situé entre le discours parlé et la musique chantée a cappella?  Quelles différences fondamentales y a-t-il entre les sons oraux qui forment des mots et ceux qui forment une harmonie vocale, une musique?  La réponse se trouve inévitablement dans l’oreille de l’entendeur et dans l’interprétation qu’il fait de ces sons, dans les codes auxquels il fait inconsciemment appel afin d’interpréter ce qu’il entend.  On pourrait affirmer, sans trop prendre de risques, que les codes qui transforment les sons en langage et en mots, font en grande partie appel à la sémantique et au sens.   Tandis que ceux qui transforment les sons oraux en musique font appel à des codes qui seraient plus de l’ordre de l’harmonie et du beau.  Les sons interprétés comme de la musique ne nomment ni les choses, ni les sentiments, ni les ambiances, ils les créés.  Qu’en est-il maintenant du discours intérieur, discours qui ne met en scène qu’un seul protagoniste?  C’est ce que propose d’explorer, de façon ludique, l’installation audio-vidéo A Cappella.

Trois téléviseurs, côte à côte, montrent aux deux extrêmités deux profils d’un même visage séparé au centre, par la représentation de plusieurs instruments de musique qui apparaissent et varient selon la composition sonore. Montrés sans être joués, les instruments symbolisent une gamme expérimentale où les notes de musique sont représentés par la forme et l’esthétique des instruments. Cet espace visuel muet représente autant un hiatus qu’un pont entre les profils qui se font face et semblent tenir une conversation.  Chacun des visages utilise sa voix pour émettre des sons qui ne forment ni des mots ni de la musique.  Ces sons s’apparentent plutôt à des babillements et à des expérimentations orales prélangagières.  Les bandes vidéo, d’une durée d’un peu plus de trois minutes et présentées en boucles synchronisées, débutent dans une certaine cacophonie : les deux protagonistes s’expriment sans tenir compte de la présence de l’autre.  Peu à peu, un certain ordre s’établit, les deux personnages semblent vouloir s’accorder pour finalement participer à la construction d’un discours bruitiste à deux voix.  Mais voilà, nous sommes ici devant la même voix, dédoublée en deux profils différents.  L’homme se parle à lui-même.  Ou plutôt, une partie de l’homme parle à son autre moitié.  Elles tentent de trouver une certaine harmonie, de mettre de l’ordre dans leurs désirs expressifs.   De toute évidence, le spectateur est exclu de cette conversation.  D’une part, il ne peut pas participer (ce sont des bandes vidéos) mais il ne possède pas les codes de la conversation.  Son interprétation oscille constamment entre un décodage sémantique, où il tente d’extraire des mots et des phrases, et un décodage harmonique, où il cherche une harmonie et un rythme qui formeraient une assise musicale.  Cette ambivalence signalétique déstabilise le spectateur qui se retrouve devant ce qui semble être une joute oratoire schizophrénique où un homme, en l’occurrence l’artiste, se dispute avec lui-même.  Qui a dit que nos discours intérieurs se déroulaient dans l’harmonie?

Éric Desmarais

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