Messageries

 

Le Dasein et le médiatique : temporalité, théâtralité et contextualité

Divisée en trois actes, la performance Messagerie met en scène une femme qui, assise devant un écran en forme de miroir projetant des images vidéo, tente tant bien que mal d’entrer en communication. Le téléphone et tout un attirail (boîtes vocales et menus automatisés) sont ses moyens de communication. La performance s’appuie aussi sur une phrase qui, tout au long de la prestation, revient comme un leitmotiv : « Ne dites rien, vous n’avez rien vu et voilà toute l’histoire ». Le premier acte revêt un aspect très théâtral. Le travail de Brochu (dont le parcours est principalement théâtral) rappelle grandement celui d’une actrice, et, plus que ses actions, ses gestes ou sa présence dans l’espace, c’est son jeu dramatique qui donne le ton à ce premier acte. C’est au deuxième acte que les outils médiatiques soulignent les tensions entre la présence réelle de Brochu dans l’espace-temps et celle, simulée, de l’image vidéographique. En effet, à partir du moment où les images de Brochu dans le miroir perdent leur temporalité réaliste et se mettent à adopter celle du simulacre numérique (accélérations, inversions, etc.), la concrétude du corps de l’actrice et sa présence réelle et immédiate dans l’espace et le temps sont contaminées par celles, abstraites et tordues, des images numériques. Deux temporalités cohabitent en parallèle : une présence directe régissant les images du miroir et y réagissant, et une présence différée et simulée s’immisçant dans le déroulement réel des évènements. Le corps devient un peu moins réel, relégué au statut de matière première soumise à la toute-puissance manipulatrice de l’outil numérique. La mise en scène de ces tensions entre présence et temps réels d’une part, et présence et temps médiatiques d’autre part, souligne de manière éloquente certaines transformations paradigmatiques de notre époque. Notre rapport au corps, à l’espace et au temps est aujourd’hui profondément transformé par l’infiltration des outils médiatiques, et les assises que représentaient une pleine expérience sensible et la continuité du temps solaire s’effritent inexorablement…

Texte d’Éric Desmarais

Danye Brochu et Sébastien Pesot forment le duo de performeurs Scalène. Un scalène est un triangle dont les trois côtés sont de longueurs différentes, dont les trois angles sont de mesures différentes et qui n’a pas d’axe de symétrie. Le projet Scalène se définit comme la rencontre entre les artistes Danye Brochu, Sébastien Pesot et la création. On peut également faire référence cet espace de recherche comme la rencontre entre trois approches, trois attitudes : le théâtre, la performance et les arts médiatiques. Messageries, présenté le 1er octobre 2009 à Sporobole (Sherbrooke, Québec, Canada), est leur première performance en duo.

 

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